Nous sommes le Mardi 4 février 2025 | 271 Connectés | La citation du jour : "La séduction suprême n'est pas d'exprimer ses sentiments. C'est de les faire soupçonner. " Jules Barbey d'Aurevilly
peter viertel

Du cinéma aux vagues : l’étonnant destin de Peter Viertel à Biarritz

Nous sommes en 1956. La France se remet lentement de l’après-guerre, les existentialistes squattent les cafés parisiens, et les plus téméraires expérimentent encore les joies du bain de mer en maillot une pièce rayé. Pendant ce temps, sur la Côte Basque, un drôle d’Américain débarque avec une planche en bois qui va révolutionner la région.

Cet homme, c’est Peter Viertel, scénariste hollywoodien et époux de la sublime actrice britannique Deborah Kerr. Il n’était pas là pour faire du tourisme, mais pour adapter au cinéma « Le Soleil se lève aussi », le roman d’Ernest Hemingway. Le tournage a lieu à Pampelune. Mais lors des congés, l’équipe de tournage a tendance à se déplacer vers la Côte basque. Au programme : tapas, bières et parties de pêche. Pourtant, le vrai spectacle n’est pas dans les arènes de Pampelune ou les ruelles de Bayonne, mais bien sur les vagues.

Hollywood sur l’eau

Viertel, californien de naissance, est un passionné de surf, cette étrange activité que les Polynésiens pratiquent depuis des siècles et que les Américains ont transformée en un sport de glisse spectaculaire. Alors, en bon hédoniste, il ne va pas passer tout son séjour sans une session de vagues. Mais souci : personne en France n’a entendu parler de surf. Le matériel ? Inexistant. Les autochtones ? Perplexes.

Qu’à cela ne tienne, Viertel fait venir sa propre planche de Californie. Une fois livrée, c’est comme si un OVNI venait d’atterrir sur la plage de la Côte des Basques. Entre deux pauses café et quelques verres de Patxaran, les locaux observent cet étrange spécimen yankee s’acharner à ramer, se lever et tomber, recommencer, encore et encore. L’écrivain parait aussi déterminé qu’un parisien cherchant à poser sa serviette sur l’escalier de la Côte des Basques au mois d’août.

Les Biarrots entre scepticisme et fascination

Le problème, c’est que la vague biarrote n’ont jamais vu de surfeur. Même si elle est considérée, aujourd’hui comme molle et indolente, la vague de la Côte des basques, à l’époque reste sauvage, brute, indomptée. Un peu comme un joueur du BO dans une soirée mondaine. Viertel, malgré son expérience, se doit de composer avec ces rouleaux rebelles. Autour de lui, des curieux commençaient à s’agglutiner. Des pêcheurs de méduses médusés, des plagistes en « slips de bains », des baigneurs en bonnets fleuris… Tous fixaient ce drôle d’Américain qui, après plusieurs tentatives infructueuses, finit par se lever sur sa planche et glisser majestueusement sur la vague.

Là, silence. Puis explosion de rires et d’applaudissements. Certains pensaient à un miracle, d’autres à une ruse diabolique. Une chose était sûre : quelque chose venait de se passer.

La première génération de surfeurs français

Parmi les témoins de cette scène improbable, quelques jeunes locaux, dont George Hennebutte, Jacky Rott et Joël de Rosnay. Ces derniers, fascinés par la performance de Viertel, décident d’essayer. Le hic ? Il n’existait pas de surfshops, et encore moins de tutos YouTube. Ils durent donc fabriquer leurs propres planches à partir de vieilles portes, de morceaux de bois flotté, et d’une bonne dose d’inventivité.

Ainsi naquit la première génération de surfeurs français. Ils passèrent du statut de « plagistes rêveurs » à celui de pionniers. Loin des clichés du surfeur californien bronzé et musclé, eux avaient encore des airs de Tontons surfeurs et se battaient avec les vagues comme des basques face à un fronton. Et tout ça, à l’époque, sans leech, ni wax…

Biarritz devient la Mecque du surf européen

Les années 60 virent l’essor du surf sur la Côte Basque. Les premiers clubs furent créés, les plages commencèrent à se peupler de passionnés, et les planches évoluèrent pour devenir plus maniables. La Côte des Basques, jadis simple plage de promenade, devint un sanctuaire du surf européen. Pour finir, aujourd’hui, comme l’équivalent du périphérique parisien à 18h.

En quelques années, ce qui n’était qu’une curiosité hollywoodienne était devenu un art de vivre.

L’héritage de Peter Viertel

Aujourd’hui, difficile d’imaginer Biarritz sans ses surfeurs. Pourtant, tout a commencé avec un scénariste californien en quête de vagues, quelques jeunes Basques fascinés et une planche venue d’outre-Atlantique.

Peter Viertel, sans le vouloir, a écrit l’un des plus beaux chapitres de l’histoire du surf en Europe. Et tout ça, sans même avoir besoin d’un scénario.

Contact Us