Nous sommes le Vendredi 20 décembre 2024 | 119 Connectés | La citation du jour : "Tes fesses sont les madeleines que Proust a laissé au monde pour qu'il n'oublie jamais le goût de la chose parfaite."
biarritz

Impressions de Biarritz – 1898

Le Jour :

Très vive impression en entrant dans notre chambre d’hôtel : une chambre d’angle un peu basse, toute blanche, et, dans l’ouverture des deux croisées, la chose bleue, verte, illimitée, qui vient vers nous et qui nous parle.
La plage, agaçante avec son exhibition de mondains ou de mondaines. Vu à travers, l’Océan se fait mesquin.
Oh ! les vilains faux petits marins, occupés à pêcher de problématiques crevettes dans les rochers avec des gestes précieux et des outils achetés avant de quitter Paris, à la Ménagère.
Le soir, à l’heure de la baignade c’est drôle ce monde falot qui regarde, planté dans le sable : des bébés à chapeaux incommensurables, de jeunes petits messieurs, dresseurs de caniches noirs, et, dans la mer, pris à tout moment par le bouillonnement de la lame, les baigneurs : une bande de sauvages, couverts de loques bizarres, criant et se bousculant avec l’agitation factice des figurants de l’Opéra envahissant le vaisseau-épave, au troisième acte de l’Africaine.

La Nuit :

Encore Biarritz. Après dîner. La magnificence du couchant sur la mer ; l’ampleur, la plénitude du phénomène, sans un fétu à travers, sans une brisure, tant que l’œil peut en prendre ; et alors la merveilleuse dégradation des teintes, qui vont s’atténuant, se fondant, des pourpres vives allumées au bord de l’horizon jusqu’à la pâleur de l’azur qui sombrit en montant.
Les tamaris frémissent doucement au vent du large ; des morceaux de falaise jaune se découvrent à travers les branches et, au sommet de l’Atalaye, le sémaphore s’érige avec son gréement sur la douceur crépusculaire, comme la mâture d’un navire glissant en plein ciel.
Le Port vieux, est déjà dans le noir, fortement ombré par le relief des jetées et des môles ; des bonshommes s’y activent, courent sur les dalles de pierre, s’agitent sur les bateaux dont les bordages résonnent, frappés par l’aviron. Les pêcheurs rentrent : des silhouettes de femmes se font voir sur le quai, débout, les reins cambrés sous le poids des paniers à poissons. Des jurons, des commandements brefs ; l’une après l’autre les barques touchent le quai, envoient à terre leur mâture légère, les longues lignes et les roseaux de pêche. Et déjà voici les nasses vidées sur les dalles et le frétillement des écailles blanches dans l’obscur.
Un pêcheur, accroupi, compte les poissons, fait le partage.
Puis tout le monde s’en va.
Et le petit port se met tout à fait au calme, au grand calme de la nuit, avec ses formes incertaines de barques lentement soulevées, et le bruit de la mer tout autour, dont on voit seulement un flocon d’écume, une blancheur par intervalles, qui saute, vivante au-dessus de la jetée.

Emile Pouvillon – La Gazette de Biarritz – 15 juillet 1898

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