Nous sommes le Vendredi 20 décembre 2024 | 121 Connectés | La citation du jour : " Le grincement d’une balançoire vide résonne jusqu’à la fin du monde." Christian Bobin

Hemingway et Pampelune

La révélation au monde des fêtes de Pampelune au coeur de la Navarre par l’écrivain américain et prix Nobel de littérature Ernest Hemingway est couramment avancée pour expliquer les flots de touristes qui affluent chaque été aux Sanfermines. Mais aujourd’hui, de nombreux « Yankees » viennent à ces fêtes après avoir vu d’autres productions, américaines ou européennes.

Ernest Hemingway, don Ernesto pour les Pampelonais, est la figure emblématique des écrivains qui ont propagé la connaissance des fêtes de Pampelune à travers le monde. Aujourd’hui, de nombreux touristes anglophones viennent aux Sanfermines après avoir vu ses écrits ou leur adaptation cinématographique.

Les fêtes de San Fermin sont effectivement assez connus aux Etats-Unis, et il arrive aujourd’hui que Plaque du paseo Hemingway à Pampeluned’autres supports, la télévision surtout, propage les fêtes de Pampelune à travers le monde au moyen de fictions, de documentaires ou de spots publicitaires.

Un épisode de la fameuse série américaine Amicalement vôtre montre un scène qui se déroule dans les arènes de Pampelune. L’arrivée de l’encierro est montrée à l’écran. Mais lorsque les comédiens Roger Moore et Toni Curtis sont filmés assis sur des gradins, il sont filmés en studio.

En 1989, le producteur de la série espagnole Para Elisa engageait un coureur avec le statut de figurant, pour le filmer devant les taureaux dans les rues de Pampelune.

Deux ans plus tard, le réalisateur allemand Bernard Sinkler venait tourner les scènes navarraises d’un téléfilm consacré à Ernest Hemingway, avec le comédien Stacy Keach dans le rôle de l’écrivain. L’Allemand organisa un encierro pour les besoins du film, fin juillet, avec une soixantaine de figurants et des taureaux du Marqués de Ruchena. Un Anglais avait même l’idée de sortir de son île pour venir courir cet encierro atypique. Le réalisateur allemand a réussi un coup de maître, les images présentées au public étant saisissantes de vérité.

Mais la télévision n’a pas profité seule de l’image de l’image de l’encierro. Le septième art a moissonné également. Des comédiens de grande renommée se sont rendu aux Sanfermines, tels que le Français Lino Ventura, l’Allemand Kurt Jurgens, l’Américain Charlton Heston, ou encore Margaux Hemingway, la fille d’Ernest. Henri Fonda tint à photographier en personne les taureaux pendant la course, juché sur une barrière du trajet dans la descente vers les arènes.

L’encierro fut la base essentielle du scénario du long métrage espagnol La Trastienda, réalisé en 1977. Cette même année se déroula un montón pendant l’encierro du 8 juillet. Cet événement amena le réalisateur à modifier le scénario de son film afin qu’il colle à l’actualité.

En 1990, Charlton Heston Jr, le fils du comédien du même nom, venait aux Sanfermines pour réaliser les scènes pampelonaises de son film City Slikers. Un coureur renommé fut rémunéré pour doubler l’acteur principal pendant les scènes d’encierro.

Un autre support, la publicité, a permis de propager l’encierro à travers le monde. Des entreprises de l’industrie automobile de France et d’Allemagne, Peugeot et Opel, ont utilisé l’image de l’encierro à des fins publicitaires. La marque américaine Levis 501 également, suscitant pour l’occasion des réactions des deux côtés de l’Atlantique. En 1993, le réalisateur Spike Lee tournait un spot de publicité avec des images d’encierro. Le message assurait que l’on pouvait courir sans risque de prendre un coup de corne, grâce aux jeans fabriqués sous ce label. Ce qui déplut fortement aux Navarrais, mais aussi aux Américains qui se rendent chaque année aux Sanfermines. La diffusion du film publicitaire fut finalement interdite de passage à l’antenne.

Le soleil se lève aussi

Gallimard (Folio), paru en 1926 – Traduit de l’anglais (États-Unis)

Jake Barnes est un Américain à Paris. Journaliste expatrié, il va de bar en bar, du petit blanc du matin aux calvas du soir. Autour de lui gravite toute une faune d’expatriés qui ont tous leur blessure, et qui la noient dans la fête — l’autre titre du livre est Fiesta — et l’alcool.
Tout ce petit monde se prépare pour partir à Pampelune, pour la San-Firmin, et une semaine de fiesta non-stop.
C’est le premier vrai roman du grand Ernest, le précédent Torrents of Spring était une parodie, une blague de potache. C’est ici que naît le style Hemingway. Des phrases courtes, peu d’adjectifs, beaucoup de dialogues, pas de psychologie (on y reviendra), le behaviourisme est né. Ernest ne se contente pas de laisser des zones d’ombre, il en crée, joue avec le chaos de ces javas forcenées d’une bohème éthylique à qui il reste un rien de dignité, un semblant de fierté qui empêche de sombrer totalement. De Paris à Pampelune, c’est la même recherche de l’oubli dans le brouhaha et l’alcool.
Mais sur la route, il y a cette pause, magnifique, dans les Pyrénées où Jake et un ami restent quelques jours pour pêcher. Soudain il n’y a plus de bruits, de paroles, plus que du silence et deux litres de rouge par tête et par jour. Un moment détaché avant de replonger dans le tourbillon de la fête.

Pampelune

L’adrénaline et l’alcool ne suffisent pas à expliquer l’attrait durable qu’exerce le festival de Saint-Firmin, à Pampelune, sur de nombreux amateurs, en particulier ces jeunes Américains qui parcourent des milliers de kilomètres pour le frisson que procurent les taureaux déchaînés dont il faut éviter les cornes au tout dernier moment.

«C’est la camaraderie», insiste Joe Distler, de New York, qui a pris part à toutes les charges des taureaux depuis 1967. «Nous, en tant que groupe, et particulièrement les Américains, avons formé une amitié très particulière avec les habitants de Pampelune, parce que nous respectons la tradition: nous apprenons les chansons, nous dansons dans les rues.»

Ray Mouton, un Américain qui a écrit un ouvrage sur le festival, assure que chacune des neuf journées de festivités, qui commencent avec la cérémonie d’ouverture, le 6 juillet, est comme un manège qui tourne continuellement: on y monte ou on en descend à toute heure du jour ou de la nuit.

Les enfants dansent au son des fanfares, des géants de papier mâché envahissent les rues et les vendeurs ambulants écoulent leurs bibelots bon marché. La bonne humeur est de mise dans les foules et il y a peu de bagarres malgré les nombreux cas d’ivresse.

Il y a même quelque chose qui tient de la célébration dans la dévotion à saint Firmin, saint patron de Pampelune, et dans les processions de la statue de la Vierge Marie dans les rues de la ville.

Cela tient peut-être au fait qu’il s’agit d’une des rares occasions dans le monde moderne où les gens ordinaires peuvent affronter la mort d’une telle manière: un bref instant, d’une grande intensité.

Dans de telles conditions, la religion semble acquérir un sens immédiat.

Tous les jours, un peu avant 8h, du 7 au 14 juillet, des milliers d’éventuels coureurs, presque tous des hommes et la plupart portant une chemise et un pantalon blanc, foulard rouge au cou et large ceinture à noeud bouffant, s’assemblent dans les étroites rues pavées le long du parcours de 950 verges (869 m). Sur le coup de 8h, on lance une fusée pour signaler le lâcher des taureaux et de la demi-douzaine de boeufs qui les accompagnent. Une deuxième fusée indique aux coureurs que les animaux sont dans les rues.

La théorie veut que les coureurs, armés de journaux enroulés, vont guider les bêtes en toute sécurité depuis les torils au pied de la colline Santo Domingo jusqu’à l’arène en vue de la corrida du soir. En pratique, la majorité des coureurs sont des touristes pas très au fait des événements, des aventuriers machos ou des amateurs de party noyés dans les torrents d’alcool qui inondent le festival.

Les quelques rares bons coureurs attendent, chacun à son endroit favori, et choisissent le moment voulu pour surgir devant les taureaux et courir devant leurs cornes le plus longtemps possible. Mais même les meilleurs ne peuvent tenir plus que quelques secondes. Les néophytes croient souvent qu’un taureau de 1200 livres (544 kg) ne peut qu’avancer à pas lourds sur de courtes pattes jusqu’à ce que la bête les charge à une vitesse terrifiante.

Ernest Hemingway, qui a beaucoup contribué à faire connaître et à entourer d’un halo de romantisme la fête de Saint-Firmin dans Le Soleil se lève aussi, jouit d’un grand respect à Pampelune même si, dit M. Mouton, il n’a probablement jamais couru devant les taureaux.

Bryan Choi et Brian Culp, tous les deux 18 ans, de Richfield, en Ohio, ont étudié le roman d’Hemingway dans leur cours d’anglais et ont vu des films de courses de taureaux en compagnie de leur professeur d’espagnol. Leurs parents étaient horrifiés à l’idée de leur voyage à Pampelune et, disent-ils, ils ont insisté pour que les jeunes l’organisent et le paient eux-mêmes. Et ils ont aussi supplié leur fils de ne pas courir.

«J’y ai pensé au moment où 10 Espagnols et huit Américains se tenaient à la barrière lorsqu’ils ont lâché les taureaux », dit le jeune Culp, souriant à l’évocation de son ignorance. C’était le lendemain du jour où lui-même et son ami avaient couru pour la première fois. «Nous voulions courir devant les taureaux tout au long du parcours», ajoute-t-il d’un air désabusé.

Mais il a appris, lorsqu’il s’est fait plaqué contre un mur par la foule en panique, que le danger à cet événement est plus souvent le fait du nombre de personnes qui obstruent la voie qu’une paire de cornes.

Il reste que chaque jour, on compte quelques encornés. Ils subissent des blessures qui, normalement, laissent une cicatrice pour la vie. C’est pourquoi les coureurs habituels ont toujours la frousse.

«Les gens qui courent devant les taureaux sont comme les toreros: la peur n’est jamais bien loin», explique Noel Chandler, 66 ans, un Gallois qui assistait cette année à son 40e festival. Il a cessé de courir devant les taureaux il y a deux ans, mais il songe à faire un retour lorsqu’il aura 70 ans.

Les spectateurs sont en mesure de signaler l’approche des taureaux parce qu’une panique soudaine s’empare de la foule, et les gens qui courent pour sauver leur peau déguerpissent vraiment plus vite.

Jim Hollander, un photographe américain qui travaille souvent dans des zones de guerre et qui a publié Run to the Sun, un recueil de photos sur Pampelune, dit que la course devant les taureaux met les gens à l’épreuve de la même manière que la guerre. Pour sa part, M. Chandler dit que les amis qu’il se fait ici sont comme des compagnons de guerre.

Julen Medina, l’un des grands coureurs basques, qui a pris part à sa première course devant les taureaux à l’âge de 14 ans, donne un conseil plus direct: «Ne venez pas!» Il admet que Pampelune «crée une dépendance», mais c’est l’ignorance de nombreux festivaliers qui l’inquiète.

«Lorsque le jeune Américain a été tué ici, ça n’a pas rebuté les gens, l’événement a en fait attiré encore plus d’Américains», dit M. Medina. Celui-ci faisait référence à Michael Peter Tassio, 22 ans, de l’Illinois, tué à coups de corne en 1995.

Mais l’attrait primitif de courir devant les magnifiques et terrifiants taureaux continue d’exercer sa magie. Lindsay Saint, une jeune fille de 19 ans du Kansas, qui a reçu un coup de corne au genou dimanche dernier, a déclaré à la télé locale qu’elle allait courir de nouveau.

Comme le souligne Robert Kachnic, 50 ans, un pompier de Yonkers qui en était à sa première visite: lorsque vous revenez à la maison, «ça vous fait toute une entrée en matière dans une conversation!»

Emma Daly
New York Times
Pampelune, Espagne

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